Conclusion

Robert William HIGGINS
R.W. HIGGINS

Je voudrais dire quelques mots. Je ne vais pas être long. 

Les ateliers sont une très bonne formule. C’est dommage que quelque chose ne remonte pas en fin de journée. Je me suis donc dit, puisque ce n’est pas fait, que je vais aller dans chacun des ateliers, passer 30 ou 35 minutes. Je m’excuse auprès du 2ème atelier. C’était quasiment la fin, quand je suis arrivé. Ils ont terminé un peu plus tôt. 

Ce n’est pas du tout une synthèse mais trois choses m’ont frappé. 

Dans l’atelier numéro un, il y a eu toute une série d’échanges autour de la notion de convivialité et autour du fait que, dans la structure dont il était question, les patients mangent avec les patients. Ceci a suscité des questions de la salle, à savoir : « on a tout de même besoin d’un temps de pause », etc. Il faut bien entendu la cadrer, la limiter, ne pas tout faire tout le temps, ne pas être 36 heures sur 24 avec les patients. Nous sommes bien d’accord. 

Manger avec les patients, cela peut être d’autres choses que de manger. Cela a tout de même une puissance symbolique extraordinaire, le partage du repas. Je pense, par rapport à ce qu’on a pu dire, par rapport à ce que j’ai essayé de dire moi-même, ce matin ou hier à Mulhouse, que ce temps vient vraiment répondre à ce que je pouvais regretter, à savoir que cette sorte d’écoute spécialisée, de psychologues, de psychanalystes ou autres, peut avoir, en sous-main, d’isoler le malade quelle que soit la qualité de l’attention qu’on lui accorde. La commensalité et il était question de témoignages de médecins qui disaient ce qu’ils éprouvaient à le faire, à partager le repas avec des malades très abîmés en quelque sorte, cela rappelle vraiment la commune « humanité ». Cela me parait, cela peut-être fait d’une autre façon, et il faut encore une fois veiller à ce que ce ne soit pas envahissant pour les soignants, être une chose très importante.

Quant à la question de la pause, « on a besoin d’une pause », c’est vrai et il faut, en même temps, essayer de s’interroger sur comment cette idée que la pause nous est vraiment nécessaire, peut être solidaire d’une certaine conception du soin qui exclut cette commensalité. Le fait de pouvoir se défroquer tant soit peu de sa position de soignant, d’infirmier, d’aide-soignant, de psy, de médecin, de tout ce que vous voulez, le temps d’un repas est quelque chose qui nous soigne aussi. C’est peut-être éprouvant parfois mais, en même temps, cela réintègre le soin. Il n’y a pas que les pauses qui peuvent rendre le travail moins difficile et moins source de souffrance.  

Ceci m’amène au deuxième point, l’atelier où je me suis rendu en second lieu qui était : « la souffrance des soignants ». Quand je suis arrivé, les soignants disaient qu’ils ne savaient pas quoi dire. Cette phrase peut être prise dans un sens négatif « je ne sais pas quoi dire » alors qu’il faudrait savoir quoi dire, qu’il y a quelqu’un d’autre qui me permettrait de savoir quoi dire. Il y a aussi, tout simplement, le témoignage qu’il n’y a, par moment, rien d’autre à dire que de dire « je ne sais pas quoi dire ». 

Dans une enquête faite par Patrick BAUDRY, dans un très beau livre qui s’appelle « La place des morts », il fait état du fait qu’une des raisons pour lesquelles les personnes se retrouvent très seules dans leur deuil aujourd’hui, le téléphone ne sonne plus, les amis ne viennent plus, etc., c’est justement parce qu’ils ne savent pas quoi dire. 

Comme le disait une des personnes qu’il a interrogé dans cette enquête, une dame veuve disait mais c’est tout ce que j’attendais, qu’il vienne me dire : « je ne sais pas quoi te dire. Je suis passé le temps de te voir. ». On prend dans les bras, on embrasse. Il peut y avoir mille choses. Il n’est pas nécessaire de savoir quoi dire. On peut répondre à certaines situations par le toucher, par un contact avec la personne, par le silence qui est aussi une forme de partage qui peut être extrêmement forte. 

Ceci m’amène au dernier atelier où j’étais, très brièvement, le temps de voir un tableau d’HOLBEIN « Les ambassadeurs » où la mort est présente et en biais puisqu’il faut se mettre de côté pour voir apparaître la tête de mort qui rappelle la condition mortelle de ces grands personnages. J’ai interrogé des personnes qui avaient assisté à l’atelier plus longuement que moi. J’ai demandé de quoi il était question : difficulté de parler de la mort. 

S’agit-il de parler ? S’il s’agit de parler, comment parler ? Encore une fois, j’étais très content d’arriver au moment où je suis arrivé. Avant de parler ou au lieu de parler, on montrait un tableau, c'est-à-dire qu’on employait une métaphore, le tableau étant lui-même une métaphore. 

Parler, ce n’est pas forcément parler, comme je le disais ce matin avec mon histoire de la vieille dame et du médecin : « ma petite fille, ne me parlez pas de tout cela ». Elle parlait sur un certain mode métaphorique, fictionnelle, de sa mort : « de là-haut, je vous verrai parler tous les deux de moi ». 

N’oublions pas. Je l’ai fait et on me refusait souvent l’intitulé quand j’enseignais, par exemple, à la Faculté de médecine de Bobigny. Je mettais sous mon titre un sous-titre qui était : éloge de la métaphore. On me demandait ce que c’était ces conneries alors qu’on parlait de soins palliatifs. Je maintiens, je persiste et signe. 

Je ne veux pas être plus long et vais laisser la parole à quelqu’un qui va terminer. C’est bien que ce soit lui. C’est son truc.

Applaudissements.