Claude BOIRON
Médecin Oncologue, Hôpital Européen G. Pompidou, Paris
Je tiens à remercier tout particulièrement Philippe ACKERMANN de m’avoir invitée à partager avec vous ce témoignage. Je suis touchée, tout d’abord, de savoir que le texte vous ait plu. Au-delà de tout cela, je suis émue du fait que vous pensiez que cela peut être un outil de travail puisque, s’il s’agit de donner du sens à tout cela, c’est un sens auquel je n’ai pas du tout pensé à savoir que mon texte pourrait servir. Je tiens sincèrement à vous en remercier.

Ce qui me touche aussi, dans votre invitation, c’est d’avoir été rassurée sur ma capacité à faire passer certaines choses et surtout à être entendue. Nous en reparlerons souvent. Il est vrai que l’écoute est importante en tant que médecin mais aussi en tant que patient. Tout cela donne un sens important pour moi. 

Ce témoignage est difficile parce que cela faisait très longtemps que j’avais envie de l’écrire. Je sentais bien que ce qui était intéressant c’était la double casquette médecin-patient atteint d’un cancer. Mon parcours a été assez lourd. Je vais le résumer pour que vous puissiez comprendre la globalité de ce que j’ai vécu. Le but est après, ensemble, de voir quels peuvent être les points importants sur lesquels on peut réfléchir.

J’avais en fait 32 ans quand j’ai eu mon cancer du sein. J’étais chef de clinique en oncologie. Je suis passée par le diagnostic, l’opération, la chimiothérapie, la dépression post traitement et toute la difficulté de la réinsertion professionnelle. Allais-je garder un poste en oncologie. J’ai donc intégré un poste de PH. J’ai essayé de réinvestir une temporalité. Est-ce que je travaille ou est-ce que je profite du temps qui me reste ? 

Mon parcours est assez lourd parce que j’ai eu, quand j’ai été opérée, un bras très gros qui m’a vraiment pourri ma vie et qui a accentué un sentiment de honte, de culpabilité que j’ai traîné pendant un certain temps. 

En 2003, alors que j’étais PH, j’ai rechuté avec les fameux marqueurs qui remontent. On m’a proposé une hormonothérapie. J’ai essayé et cela n’a pas marché. Je n’avais pas envie de reprendre la chimiothérapie. Je savais jusqu’où je voulais aller dans ma vie. J’ai donc dis que je n’étais pas prête pour l’instant et j’ai demandé une autre hormonothérapie. Cela a été le miracle parce que je n’y croyais pas plus que cela. 

J’ai vu mes marqueurs diminuer et une temporalité qui revenait avec un temps, tous les trois mois. Il a été de tous les six mois au bout de deux ans. J’avais à chaque fois l’impression de pouvoir refaire des projets à plus long terme. 

La question qui me taraudait est de savoir pourquoi cette maladie était agressive au départ. Il était évident que j’aurais dû rechuter sur un mode viscéral, un mode agressif. Pourquoi tout ce temps ? On a parfois, en plus de cela, l’impression de gâcher le temps. On le gâche parce qu’on ne sait pas très bien quoi en faire. 

En 2007, j’ai eu la chance ou malchance d’avoir une énorme infection de mon bras. Là je me suis dit que ce n’était plus possible et que je devais m’en occuper. Je laisse un peu tomber le lymphœdème mais je pense qu’il est important, en même temps, parce que c’est à travers ce lymphœdème que j’ai réussi à écrire. 

Je me suis donc dit qu’il fallait que je m’occupe vraiment de ce lymphœdème et j’ai eu la chance de rencontrer une kiné qui m’a prise en charge et m’a fait la rééducation de ce lymphœdème. Sa première parole a été : « ce n’est pas parce que cela fait dix ans que vous galérez avec un gros bras qu’on ne va pas y arriver ». C’est une parole qui m’a donné énormément confiance et de l’espoir. Elle a super bien travaillé mon bras pendant deux ans et je me suis retrouvée avec un bras beaucoup moins gros que j’ai remis dans mon schéma corporel. Du coup, il y a une honte qui a disparu et j’ai eu envie de parler de cela, de ce bras, de dire à toutes les femmes qui ont un gros bras qu’elles peuvent avoir la chance de rencontrer quelqu’un. J’ai donc fait un premier article sur ce lymphœdème. 

Une de mes amies est psycho-oncologue. Elle m’a vraiment aidée dans ce travail et m’a dit, à la fin, que c’est vraiment chouette ce que j’ai dit et que j’avais des choses à dire. Je me suis dit alors : pourquoi pas. 

L’autre chose qui m’a fait écrire, c’est la frustration. C’était dans les années 2000-2005-2010 avec le plan cancer, le dispositif d’annonce, les soins de support. Je voyais toutes ces personnes, tous mes collègues qui se positionnaient. Je me suis dit que j’avais des choses à dire et je me sentais frustrée parce qu’aucun de mes collègues proches ne s’est tourné vers moi pour me demander ce que cela avait pu changer dans ma pratique, ce que je vivais.

Je me suis dit alors qu’il ne fallait pas que j’attende de l’autre. Aidé par ce premier écrit sur le lymphœdème, j’ai écrit ce texte. 

Ce texte a donné un sens à ce temps. Je me suis dit que, grâce à ce temps qui m’a été donné, j’ai pu écrire quelque chose. Cela m’a libéré d’une frustration. L’autre chose qui était importante aussi, pour moi, c’était de pouvoir laisser quelque chose. Quand on est toujours confronté à la mort, on sait qu’il va y avoir la séparation et il y a ce côté un peu narcissique de se demander ce qu’on va laisser. Je n’ai pas d’enfants. L’écrit était donc important pour moi. Voilà un peu le sens de ce texte et je suis ravie qu’on puisse travailler à partir de cela. 

A partir de là, l’idée est de partir sur certains points qui me paraissent importants. Je ne sais pas comment nous allons pouvoir avancer ensemble, s’il va y avoir de l’interaction, si vous allez me laisser parler. Nous ferons comme vous le sentez. 

Il est difficile de commencer à parler sans aborder l’annonce. J’en ai eu trois. La première est celle qui a suivi ma mammographie. J’avais un cancer du sein. La brutalité est la perte de l’insouciance. Brutalement, on passe dans une vie qu’on n’imagine même pas, même en étant cancérologue. On se rend compte, tout d’un coup, de la fragilité et d’un espace temps. On sait très bien qu’on ne pourra plus jamais revenir en arrière. C’est quelque chose qui est très précoce. On le sent tout de suite. On sent que cela va définitivement nous changer. Cette brutalité est vraiment importante. 

Je pense, pour cette raison, qu’il n’existe pas de bonne annonce. On passe à sa finitude, brutalement, du jour au lendemain. On peut cependant s’améliorer pour faire de moins mauvaises annonces. 

La deuxième annonce, cela a été pour moi après l’opération. Je suis tombée malade pendant les grandes vacances et le cancérologue m’a appelée par téléphone parce qu’il était en congé. Il m’a dit que j’avais 13 ganglions envahis sur 14. Étant cancérologue, ce que j’ai le plus mal vécu, c’est une angoisse de mort imminente. Je sais que je vais mourir. Ce n’est cependant pas « je vais mourir bientôt, mais demain ». C’est cette imminence de mort qui m’a fouettée. C’est en cela que mon témoignage est très particulier. Je ne suis pas certaine que les patients aient la prescience de cette gravité alors que j’étais personnellement dedans. Je connaissais les pourcentages. C’est en cela que mon témoignage est différent. 

La troisième annonce m’a été faite pour la rechute. C’est assez particulier pour la rechute. On peut parler des marqueurs pendant des heures. Ouvrir la petite lettre des marqueurs, quand vous êtes dans la rue, toute seule, et que vous trouvez que votre marqueur n’est pas normal, c’est un sentiment de solitude. Je me suis toujours posée la question, pourquoi on faisait des consultations en face à face pour le HIV et pourquoi ne le fait-on pas pour les marqueurs. C’est la même détresse. C’est peut-être même pire par rapport à la première annonce. 

Quand on annonce qu’on a un cancer, on se dit « peut-être que ». Quand on rechute, on sait très bien qu’on ne va pas en guérir. Je pense qu’il serait intéressant de travailler cet accompagnement, tout comme l’accompagnement quand on va faire un scanner ou une radio de surveillance et que c’est le radiologue qui vous apprend que quelque chose n’est pas bon. 

Pour en revenir au « pourquoi moi », il est vrai qu’il est venu dès le premier jour. Celui que j’ai ressenti était une révolte. J’ai 32 ans, je commence à peine à me sentir un peu mieux dans mes baskets. Je me suis dit pourquoi moi et pourquoi en ce moment. La première des choses que je me suis dite c’est que j’aurais préféré attendre dix années de plus.

Aujourd’hui, il m’arrive encore de ressentir ce pourquoi moi. Pas pour le cancer puisque je vis avec cela maintenant. Ce « pourquoi moi », c’est pourquoi est-ce que je suis tout le temps obligée d’envisager le fait que je vais partir tout en sachant que cette séparation va être difficile. Ce « pourquoi moi » est plutôt une tristesse aujourd’hui. Ce n’est plus de la révolte mais plus une tristesse de me dire que si j’avais pu vivre comme quelqu’un d’autre cela n’aurait pas été mal non plus. Ce n’est plus du tout une révolte.

Dans l’annonce, il y a des aidants, des choses qui peuvent énormément aider et qui sont toutes simples. Quand le radiologue m’a fait ma mammographie et m’a donné les résultats, j’ai vu qu’il était touché, dans ses yeux. J’ai vu sa tristesse. J’ai vu son empathie, que c’était difficile pour lui. Cela m’a vraiment réchauffée. Je crois que nous sommes toujours dans l’ordre de l’entente, d’être reconnue et entendue dans sa souffrance. Je n’oublierai jamais ce regard parce qu’il a su m’accompagner.

Je crois que c’est tout ce qu’on demande. Quand on vit ce genre d’épreuve, on sait qu’on va être seul. On sait qu’on va être seul à subir les chimio, les traitements et le reste. Sentir que l’autre, malgré tout ce qu’il a vécu, est encore là et est triste pour vous, c’est excessivement rassurant et réchauffant. C’est quelque chose d’important. Cette tristesse dans les yeux, je l’ai vue lors de plusieurs étapes de mon traitement. Ce n’est pas grand-chose. On est juste dans l’ordre de l’empathie. Il y a aussi cette dualité. On est dans un face à face. Il a pu voir 40 000 patients avant et il en verra 50 000 après, mais c’est moi qu’il regarde aujourd’hui et c’est avec moi qu’il y a cet échange de tristesse. 

C’est pareil pour les proches. Il y a les proches-proches et les moins proches. Les moins proches partent plus vite, c’est donc plus simple. Dans les proches-proches, il est vrai que c’est très dur.

Je me rends compte que c’est très dur pour eux. J’en ai encore parlé récemment avec un ami qui venait d’apprendre que sa mère a un cancer du sein. Il m’a dit qu’il allait pleurer quand il allait la voir. Je lui ai répondu : « et alors … ». 

Je me souviens de la consultation où j’étais avec une amie lorsque le cancérologue m’a dit que le traitement n’avait pas marché et que le marqueur avait continué à monter, on s’est effondrées en larme toute les deux. Qu’est-ce que je les ai aimées, ces larmes. Elles ne m’ont pas angoissée. Elles m’ont rassurée sur l’amour qu’elle me portait, sur la tristesse qu’elle avait pour moi. 

Quand je vois les proches, je leur dis maintenant « allez y ». Je crois qu’il est illusoire de vouloir penser que la personne à qui on dit qu’elle a un cancer et qui vit son cancer n’est pas angoissée. Elle est angoissée. Exprimer sa propre souffrance, cela peut aider. Il faut essayer de désintellectualiser beaucoup de choses. Souvent, on ne sait pas quoi dire. Il y a parfois des mots tous simples comme « je pense à toi ». Mes copains sont super. Ils savent que j’ai un bilan et me proposent de m’accompagner. C’est juste cela mais c’est énorme. 

A contrario, j’ai vécu des moments qui n’ont pas été très simples. Il y a le voisinage, les regards de pitié. C’est la femme du boucher qui vous connaît et on voit bien, lorsqu’elle va vous voir, qu’elle a un peu peur. C’est vraiment très difficile. 

Ce que j’ai vécu dans le milieu hospitalier et qui m’a vraiment touchée, c’est l’indifférence. Je le cite dans mon article. Il est vrai que cela a été très difficile pour moi. Je venais d’être opérée et d’avoir l’ablation de mon sein. Deux aides soignantes étaient venues. C’était au mois d’août. Elles étaient en forme. Elles entrent et me disent qu’elles vont faire le lit et que je dois me mettre sur le fauteuil. Elles font le lit, parlent de leurs vacances et s’en vont. Je trouve super qu’elles parlent de leurs vacances. Je crois qu’on a envie de voir les personnes vivre et vivre bien. On ne me dit pas bonjour. On ne me demande pas comment je vais et on change le lit. 

Dans notre quotidien, on peut souvent l’oublier parce qu’on se dit qu’une aide-soignante n’est pas une infirmière. On est tous là et on a tous notre mot à dire. 

Une autre chose qui est plus classique, c’est l’agressivité. Je souris parce que, dès que je suis angoissée parce que je ne suis pas bien, que j’ai passé un examen, et qu’il y a le soigneur en face – cela me le fait souvent avec le soignant – je suis agressive. Je souris mais je sais que je suis agressive parce que je le casse. Cela me fait sourire parce qu’on sait très bien, lorsqu’on est de l’autre côté, que cette agressivité est due à de l’anxiété. J’ai maintenant du recul et je devrais arriver à être moins agressive mais je vois bien qu’elle ressort. Je veux en parler parce qu’on sent souvent des équipes touchées parce qu’elles ont ressenti l’agressivité du patient ou du proche. Il faut vraiment essayer de le décoder rapidement. En deux à trois mots, on peut la faire tomber cette agressivité. 

C’est vrai que pour les soignants, c’est juste de reconnaître la souffrance de l’autre, lui dire d’un mot, d’un regard : « vous souffrez, je le sais ». Je ne suis pas certaine qu’on demande beaucoup plus, même à un médecin. 

L’autre notion sur laquelle je voulais insister, c’est la temporalité. Quand on vous annonce que vous avez un cancer et quand on parle de traitement, le temps s’arrête. La première parole qui m’a fait du bien, c’est quand je suis allée me faire poser mon cathéter et que l’anesthésiste m’a dit, alors qu’elle avait l’habitude de poser des cathéter : « on se revoit dans six mois pour vous l’enlever ». Cela a été une parole qui m’a vraiment aidée. Quand j’ai repris mes fonctions de PH, combien de fois me suis-je battue avec les chirurgiens en leur disant « ne laissez pas le cathéter, c’est super important de l’enlever même si elle rechute on le remettra ». Je ne me bats plus parce que j’ai arrêté de me battre pour cela mais c’est vraiment un acte technique et c’est vraiment dommage. C’est l’entrée dans une période de la vie où la chimiothérapie est terrible. Cet acte nécessite vraiment beaucoup d’accompagnement. 

Je me souviens d’une patiente qui était arrivée en retard pour la pose de son cathéter. Elle était à peine entrée dans la chambre que l’infirmière s’est jetée sur elle, l’a badigeonnée et lui a dit d’aller au bloc. La femme a poussé un cri. Elle a dit non et s’est réfugiée contre le mur en disant : « vous, ne me touchez pas ». La patiente a expliqué, après cela, qu’on ne lui a pas expliqué, qu’on n’a pas pris le temps de lui parler. C’était juste cela. 

C’est le problème de nos métiers. Je ne suis pas très optimiste sur ce qu’il va se passer. On écrit plein de textes. Au quotidien, c’est juste le temps de l’écoute, le temps de parole. Je ne vois pas très bien où nous allons. Dans des services comme les nôtres, nous sommes tout de même amenés à faire souvent les mêmes choses et les mêmes actes. Il est important de se poser de temps en temps et de se demander ce que cela représente de mettre un cathéter pour la personne et comment peut-on mieux faire. Le cathéter, j’aime bien en parler parce que c’est tout de même un acte qui est fréquent, qui est très technique. Il aurait vraiment toute sa place dans un accompagnement.

Au niveau de la temporalité, je voudrais juste insister sur la réinsertion professionnelle. J’ai trouvé cela très difficile, quand j’ai repris le travail. Je me suis demandée ce que j’allais faire de ce temps là. Est-ce que je vais continuer à vivre ou pas ? Est-ce que je travaille ou est-ce que j’en profite ? Je n’avais pas trop le choix non plus. Il faut bien travailler. Je m’appelle BOIRON mais je ne fais pas partie de la famille des laboratoires. Du coup, j’avais envie de travailler et de profiter de mon temps. C’est difficile quand vous arrivez dans une équipe avec des personnes qui sont là pour travailler à fond. Du coup, c’est la pression, comment faire différemment tout en voulant respecter ce qu’on a envie de faire et ce temps qu’on a envie de se donner en plus, sans passer pour un fumiste. C’est vraiment très difficile. 

Pour rebondir sur cette idée, il y a un autre terme qui me surprend toujours et qui est l’ambivalence. Cette ambivalence, je tiens à en parler parce qu’elle est très complexe. En tant que patiente, je suis complètement hallucinée de la faculté qu’on a de passer, en quelques heures, en quelques journées, de l’impression de mort prochaine à des projets même à court ou moyen terme. Comme on arrive, dans une même journée, à vivre le poids de la maladie et être complètement différent quelques heures plus tard. Cette ambivalence, c’est être malade tout en ayant l’air de ne pas l’être. Je suis certaine que personne dans la rue ne me voit malade. Moi-même, je ne me sens pas forcément malade. Il y a des moments où je ne me sens pas malade même si je pense à la mort. Cette ambivalence n’est pas facile à vivre, déjà sur le plan personnel. Elle ne l’est pas non plus pour les proches ou pour les soignants. Comment être en phase, comment parler de la maladie où elle a envie qu’on en parle et comment ne pas en parler au moment où elle n’a pas envie qu’on en parle. 

J’ai assisté à la présentation d’une psychologue de l’IGR qui parlait du lymphœdème. L’exemple était très bien. Elle disait que le problème des femmes, avec le lymphœdème, c’est qu’il y a des moments où elles ont envie qu’on les aide à ne pas porter des choses trop lourdes ou la casserole qui se trouve dans le placard. A d’autres moments, les mêmes femmes vont dire : « laisse, je suis capable de le faire ». Pour moi-même, les autres et les soignants, cela rend très complexe tout ce qui se passe après l’annonce et avec la maladie. 

C’est identique lorsqu’on est en rémission, entre la patiente qui se sent prise dans des angoisses de rechute et la famille qui est là pour dire que c’est bon, qu’elle est guérie et qu’elle doit tout oublier. On reste dans une ambivalence. 

Qu’est-ce qui a changé pour moi ? J’ai été hallucinée et je le suis toujours, de ce que cela peut engendrer chez mes collègues. Beaucoup de personnes, quand je suis tombée malade, m’ont dit que je ne pourrai plus faire de la cancérologie, que ce n’est pas possible. Quand j’ai rechuté, je l’ai dit, a mes collègues, parce qu’il y avait une charge émotionnelle importante. J’avais peur, je ne savais pas quoi faire. Je ne savais pas si j’allais demander un arrêt de travail ou continuer. On avait trouvé une sorte de modus vivendi qui faisait que je ne venais pas le lundi mais que je serai là les autres jours. 

Un jour, un de mes collègues me dit : « si tu venais le lundi, tu serais au courant ». Là, c’en était trop pour moi, j’ai laissé éclater toute ma colère. Je lui ai demandé s’il viendrait travailler s’il avait une IRM comme la mienne. Il m’a répondu que non. 

Nous ne sommes pas dans le courage. On fait ce qu’on peut. Je venais au travail et j’avais l’impression d’être utile. Avoir une vision de médecin-patient, cela peut être important pour les patients et pour les soignants. On me renvoyait à mon statut de malade. Cela s’est confirmé. On m’a parlé ensuite d’absence injustifiée. 

C’est après le troisième épisode que je me suis dit qu’il fallait vraiment que j’écrive parce qu’il y avait à la fois de la frustration et de la colère. J’ai fait une démarche active de rechercher du travail dans un autre endroit.

J’ai passé trois jours dans un autre service de cancérologie. Cela s’est très bien passé. J’ai dit, à l’issue des trois jours, que je souhaitais un entretien. J’ai annoncé que j’avais un lymphœdème suite à un cancer du sein en 1997, que j’étais obligée d’aller faire de la kinésithérapie une fois par semaine et que cela peut avoir un retentissement sur mon activité professionnelle. Un des médecin du service, m’a dit : « cela veut dire que tu peux retomber malade ». J’ai répondu que oui, que je peux être à nouveau en arrêt de travail ou pas mais que je ne peux pas le savoir. Je vous assure que c’est du vécu. A ce moment-là, le chef de service me dit : « justement, je ne vous l’ai pas dit mais nous avons un autre CV, nous allons donc réfléchir et je vous appelle ». Je pars, super mal, et j’attends. Au bout de 15 jours, je n’avais rien. J’ai pris mon téléphone : « ah, Claude, j’allais justement t’appeler. Je te rappelle cet après-midi. ». C’était il y a deux ans. Je n’ai jamais eu de coup de téléphone. 

C’est le summum. Ce qui me surprend le plus. C’est comment aux cancéro qui sont habilités à faire de la cancérologie tous les jours, j’ai pu leur envoyer cette image de médecin malade. Je pense que c’est insupportable. Quand on est médecin, on ne peut pas être malade. On m’a renvoyé des choses très difficiles. C’est peut-être caricatural mais c’est vrai. 

A contrario, toutes les équipes paramédicales ont toujours été dans l’empathie, à m’aider, me comprendre, à me dire que je ne dois pas me poser de questions, ainsi que tous mes amis qui n’étaient pas médecins. Ce déni, je ne l’ai rencontré que chez les médecins oncologues. J’ai d’excellents rapports avec les médecins de soin palliatif parce que je suppose que nous sommes sur la même longueur d’onde. Cela m’interroge beaucoup.

Qu’est-ce qui a changé pour moi ? C’est la double casquette patiente-médecin. Ce qui est super important pour moi, c’est que je ne suis pas patient quand je suis médecin. Le patient m’aide à ne pas me sentir patiente. C’est très intriqué parce que je suis toujours un peu patiente et médecin. Ce que je veux dire par là c’est que je me vis comme quelqu’un qui a un cancer en cours même si cela va pour l’instant. Quand je suis à l’hôpital, je suis médecin. Du coup, cela me permet vraiment de me repositionner. C’est quelque chose qui est très important. 

Ce qui a été fondamental pour moi, c’est cette unité, faire en sorte que je sois vue, ni comme médecin, ni comme patiente, mais comme médecin-patiente. C’est une expérience que j’ai vécue toujours grâce au lymphœdème. J’avais mis en place une réunion sur le lymphœdème, une réunion multi professionnelle. J’étais là en tant que médecin coordinateur. Un soignant est intervenu à un moment donné. Ce n’était pas prémédité. J’ai répondu en tant que patiente. Du coup, au niveau des évaluations, j’ai vu que ce côté avait plu. Moi, je me suis enfin retrouvée unie. Il n’y avait plus la Claude patiente et la Claude médecin. Il y avait moi, médecin, ce que je suis devenue aujourd’hui avec ma maladie. 

Le texte n’a été que la consécration de cela. Je ne me cache plus. Je suis comme cela. Je ne vais pas le dire forcément à la première rencontre. C’est la première fois que je fais ce type d’intervention, peut-être cela sera-t-il la dernière d’ailleurs. Au niveau personnel, c’est fondamental pour moi. C’était vraiment très important. Cela a changé fondamentalement. Cela m’a fait perdre du coup de la crédibilité parce qu’il est vrai que j’ai changé au niveau des patients. A partir du moment où nous ne sommes plus dans du curatif, dans tout ce qui va être qualité de vie, écoute, j’ai fondamentalement changé.

Dans ce temps qui m’a été donné, j’ai essayé de monter des consultations que j’ai nommées « soins de support ». Ils me permettaient de reprendre des patients qui étaient vus par l’oncologie et de repasser du temps avec eux. C’était du temps où je laissais parler le patient. Maintenant, ce temps, je l’aime beaucoup parce que c’est vraiment un temps où j’arrive aussi à laisser instaurer le silence, ne pas forcément combler. 

Je pose souvent des questions beaucoup plus ouvertes qu’avant. C’est certain, notamment sur l’angoisse. Je vais souvent les titiller. Je commence par le sommeil et je vais les titiller en leur demandant s’ils sont angoissés en ce moment. Comment vive-t-il tout cela ? Parler de l’angoisse du futur, c’est quelque chose que j’arrive à faire beaucoup mieux. Toute la question du cancer est cette angoisse. Maintenant, quand je vois que la personne a du mal, je vais la titiller davantage pour voir comment elle le vit. 

Pour le silence, nous avons été éduqués à toujours parler, toujours dire oui ou non. Parfois on ne sait pas et ce n’est pas plus mal de dire « je ne sais pas ». Le silence donne aussi un temps. Là où je suis hallucinée c’est, quand je donne ce temps au patient, on me dit que c’est la première fois qu’on m’écoute, qu’on me donne ce temps. 

Plus j’avance dans la cancérologie, plus je me dis que ce n’est pas si compliqué que cela. Il faut juste être un peu cadré, un peu formé et donner du temps.  

Le plan cancer est en train de parler du dispositif de sortie. De sortie de quoi ? On sort du traitement ou de la maladie ? Je pense qu’il faut faire extrêmement attention à ces termes. On ne sort pas. On ne redevient jamais comme avant. C’est un dispositif à une réinsertion professionnelle, à un retour vers une vie. Je ne suis cependant pas certaine que ce mot de dispositif de sortie soit le bon mot comme le dispositif d’annonce n’était pas forcément la meilleure dénomination. 

Pour revenir sur la projection des soignants, il y a quelque chose qui me touche beaucoup. C’est tous ces patients qui sont métastatiques. Le soignant, il est dans de la bienveillance. Il veut faire pour le mieux. On n’est cependant pas dans la même logique, dans la même temporalité. Quand on est bien portant, on peut penser que telle situation n’est pas vivable ou difficilement vivable ou qu’on ne peut pas dire certaines choses. Je pense qu’il ne faut pas oublier que le patient, il n’est pas du tout au même processus psychique que le soignant. C’est quelque chose, malgré la bienveillance, dont il faut bien se rendre compte. Si on ne laisse pas parler le patient, on a trop tendance à mettre sa propre projection.

Je redis que c’est de la bienveillance de notre part, le plus souvent, mais cela coupe tout de même le patient de pouvoir exprimer là où il en est dans son chemin, dans son état d’acceptation et de lui permettre d’avancer. L’accompagnement, c’est permettre d’avancer. Là encore, pour les oncologues, on reste dans un schéma. On a vraiment l’impression que la mort du patient est un échec. Non, la mort du patient est inéluctable. On le sait bien. Savoir l’accompagner, savoir faire en sorte que ce temps qui le rapproche vers la fin, qu’il puisse l’appréhender le mieux possible, qu’il puisse en faire quelque chose qui lui corresponde. Je ne dis pas que c’est faisable, non plus. Quand c’est faisable, quand c’est envisageable, qu’on puisse lui laisser au moins la possibilité. 

Je suis vraiment en fracture complète quand je vois qu’on balance une chimio et qu’on va en refaire une autre quand cela n’a pas marché, puis encore une autre. Quand est-ce qu’on va commencer à dire qu’il faut envisager les choses autrement ? Je pense qu’il y a vraiment un processus d’acceptation à faire passer au patient. C’est en cela que la projection est difficile. 

Un chef de service que je connais très bien dit qu’il ne peut pas parler des soins palliatifs à un patient parce qu’il ne supporterait pas qu’on lui dise. Le problème n’est cependant pas là. Il est bien portant. 

Quand j’ai pris la parole à cette formation, un kiné a dit qu’il ne peut pas imposer à ses patients de mettre un manchon. Je lui ai répondu qu’il a deux bras normaux. Si j’avais deux bras normaux, je ne m’embêterais pas avec un manchon. Le problème est que j’ai un bras qui grossit. Si je ne mets pas mon manchon, il va regrossir et être gênant. C’est donc comment ne pas se projeter dans des histoires de vie qui ne sont pas les nôtres. Il manque, à mon avis, beaucoup de formation pour les médecins. Je ne sais pas comment il faut faire. Je suis plus optimiste envers la jeune génération. Ils sont nés avec les soins de support et la prise en charge globale. Il y a cependant beaucoup de choses à faire.


Magali EDEL

Je vais bientôt être dans l’obligation de passer aux questions.


Claude BOIRON

J’ai presque tout dit. Il est important d’arrêter de proposer de la chimiothérapie en fin de vie surtout qu’elle a un effet anxiolytique notamment pour le médecin. C’est en travaillant tous les jours qu’on y arrive. Je suis très surprise de voir comment je peux aborder ces termes aujourd’hui. Je n’y arrive pas avec tout le monde mais avec certains patients et certains médecins. Quand on peut arriver à une discussion comme celle que j’ai pu avoir, voici deux jours, avec un patient, lors de laquelle nous avons pu parler ensemble de sa mort, de ce qui l’angoissait dans le fait de mourir à domicile, de ce qu’on pouvait lui proposer pour gérer cette angoisse. On continue à avancer. Je ne vais pas l’empêcher de mourir. Il m’a dit que cela l’a rassuré de parler avec moi. Il s’agit de l’accompagner jusqu’au bout, c’est juste cela.

En conclusion, j’ai envie de dire qu’il n’existe pas de recettes. Il faut réfléchir un peu, beaucoup, sur soi, sur ses propres angoisses de mort. C’est insuffisamment fait. 

Le temps me parait important, le temps d’écoute pour le patient. Je suis très différente aujourd’hui de ce que j’étais voici un an et encore plus de ce que j’étais, il y a cinq ans. Le patient atteint d’un cancer a besoin de ce temps, de ce processus psychique pour accepter ou ne pas accepter mais au moins pour faire de ce temps quelque chose qui lui corresponde. 

J’étais peut-être un peu violente dans mon texte mais je trouve qu’on vole parfois le temps des patients. Je trouve cela insupportable. 

Je suis très contente d’avoir pu parler de cela avec vous. On est typiquement dans ce type de réflexion où il est important de réfléchir tous ensemble à la manière de mieux faire avec nos patients. 

Je vous remercie. 

Applaudissements. 

Discussion

De la salle

Le témoignage de Madame BOIRON était très fort. Je suis bénévole d’accompagnement. Ce que vous avez dit nous apporte quelque chose de très riche et de très profond, intérieurement. Souvent nous sommes à l’écoute auprès des malades, au toucher, au regard. Les mots sont fades mais on peut être présent auprès des malades. Cette richesse ne s’exprime pas par des mots. Votre témoignage nous a redonné à nous, bénévoles d’accompagnement, l’autre côté qu’on n’entend pas parce que souvent le malade ne peut pas tout dire. 

Votre témoignage est une richesse qui nous a fait beaucoup de bien. Merci.

Claude BOIRON

Merci à vous. 

Applaudissements.

De la salle

Par rapport à votre vécu, la confrontation avec vos patients ne vous a-t-elle pas trop pesée au moment où vous avez repris votre travail ?

Claude BOIRON

Il faut surtout faire ce qu’on ressent. Il me semblait évident que je serai encore mieux, enrichie de cette expérience. J’ai cherché tout d’abord. Je me suis demandée ce que je pourrais faire d’autre. Je n’ai rien trouvé. Je me suis dit, au contraire, que c’était important.

Voici deux mois, une infirmière m’a dit : « je viens d’apprendre que l’infirmière d’annonce dans un service d’oncologie d’un hôpital vient d’avoir un cancer. Son cancérologue lui a tout de suite suggéré de faire autre chose. 

Non, nous sommes là toujours dans la même projection. Cela peut être difficile mais c’est à la personne de choisir. Je ne trouve pas cela difficile, au contraire. Cela me repositionne dans mon statut de médecin avec une écoute différente. Je n’ai pas de difficultés. Je ne suis pas médecin de soins palliatifs. C’est peut-être pour cela que je vais un peu plus loin avec mes patients qui sont en soins palliatifs terminaux. Le palliatif terminal me renvoie plus de choses. En même temps, je sais que j’arrive encore à trouver mes limites. Le jour où cela sera trop fort, j’arrêterai. 

C’est vraiment une décision personnelle. Il ne faut pas préjuger pour l’autre. Il y a autant de raisons pour qu’on soit encore plus enrichi par ce type d’expérience que fragilisé par ce type d’expérience. C’est vraiment à la personne de choisir. 

C’est ce que j’ai voulu dire lorsqu’on m’a fait remarquer que je risquais à nouveau d’être en arrêt de travail. Oui, bien évidemment. Ce qui m’a tuée c’est qu’ils auraient pu se dire que je pourrais apporter quelque chose à l’équipe qui peut être intéressant. 

Je suis actuellement dans une nouvelle équipe. C’est pareil. On n’est pas du tout venu me demander comment je pouvais envisager les choses. C’est une décision vraiment personnelle mais c’est vrai que cela renvoie à l’autre quelque chose qu’ils pourraient avoir envie d’éviter. Je ne suis pas certaine que cela soit vraiment pour l’autre. Quand le médecin dit, à son infirmière d’annonce, qu’il faudrait peut-être qu’elle fasse autre chose, je ne suis pas certaine que cela soit uniquement pour elle qu’il le dit. 

De la salle

Lorsque vous parlez à des patients, est-ce qu’il vous arrive de le dire ?

Claude BOIRON

Je ne leur dis pas. Je l’ai fait une fois sur le lymphœdème parce qu’une patiente ne voulait pas mettre son manchon. Elle m’a dit que je ne savais pas ce que c’était. Je l’ai dit mais je n’aime pas trop le faire parce que j’ai aussi peur que cela discrédite. 

Je suis passée à l’émission Le Magasine de la Santé pour le lymphœdème. J’ai eu un appel d’un patient qui m’a dit : « je vous ai vue à la télévision. C’est formidable, je vous embrasse. ». 

C’est très ambivalent. Je n’ai pas envie de le dire au patient. Il est important que je reste tout de même le médecin. 

Pascal AMEL a écrit un livre. C’est un gastroentérologue qui a eu un lymphome. Il en parle avec les patients et cela se passe très bien. Ses patients sont au courant et lui ont manifesté beaucoup d’empathie. 

J’avais surtout peur parce que cela ne va pas les rassurer si je meurs d’un cancer alors que je les traite. 

Anne-Claire BUCCIALI

Vous parliez de vos limites, de l’attention que vous avez pour ne pas aller au-delà de ce qui est possible pour vous. Je crois que cela nous renvoie aussi, chaque soignant, chaque acteur de santé, à cette question à être attentif dans ce travail quotidien où on reçoit beaucoup de ces récits, de ces questions, de ces souffrances des patients. 

C’est là-dessus où nous allons aussi travailler cet après-midi dans les ateliers. C’est être attentif aussi à ce que ce discours produit en nous, à l’écho que cela a en nous. Nous pouvons tous, dans notre vie, être concernés de près ou de loin, pour différentes raisons. Cela fait écho. Nous pouvons être concernés aussi par d’autres problèmes de nos vies privées. 

Je voulais souligner que cette question de l’attention à soi-même, à ce qui vient toucher, vient raisonner en nous, à nos limites est extrêmement important pour pouvoir accompagner le patient en accueillant son discours.

De la salle

Vous avez parlé d’agressivité et dit qu’il vous est arrivé d’être agressive. Qu’attendez-vous pour que cela retombe ?

Claude BOIRON

J’attendrai de l’autre qu’il pose une question ouverte : « pourquoi êtes-vous comme cela ? Pourquoi dites-vous cela ? ». On sait très bien que c’est juste un déplacement qui fait qu’on réagit ainsi à ce moment-là. 

Quand on est agressif, on ne génère que de l’agressivité. Quand je suis agressive, ce n’est pas ce que je recherche. J’ai envie qu’on me dise que cela va aller mieux. 

Je ne suis pas psy mais il faudrait essayer d’ouvrir, soit sur ce qui a été dit, soit sur la raison pour laquelle la personne est comme cela. C’est d’essayer d’ouvrir pour permettre à l’autre d’exprimer. 

Je sais que je culpabilise toujours quand je suis agressive parce que je sais que ce n’est pas le problème. Cela me permettrait très rapidement de dire que je suis comme cela parce que « j’ai peur de ». Je parle pour moi. 

Il faudrait permettre de dire à l’autre la raison pour laquelle il est agressif. Là encore, il faut avoir réfléchi. Pour beaucoup, l’agressivité sort comme cela sans savoir que c’est un déplacement. Ouvrir un espace de parole serait bien, à ce moment là.

Philippe ACKERMANN

Je voudrais vous remercier, Claude BOIRON, pour votre intervention. Vous doutiez beaucoup de pouvoir la faire. Vous l’avez faite. 

J’ai été frappé par les exemples que vous avez donnés, de ces rencontres qui vous ont aidée. Il est toujours question d’une présence qu’on vous a accordée, une présence attentive. On dirait que ce qui a changé dans votre pratique c’est que vous êtes présente autrement pour les patients que vous recevez. Vous ne l’êtes pas forcément avec des réponses mais aussi dans le silence, dans un accompagnement très proche. 

C’est une remarque. Vous avez dit, à un moment donné, que c’est peut-être la dernière fois que vous faites un témoignage comme cela, devant une assemblée. Je crois qu’il faut continuer puisque cela apporte beaucoup à tous. Cela ouvre aussi des pistes de réflexion pour l’après-midi. 

Ce que vous avez indiqué comme points importants pour vous pourra être repris durant les ateliers.

Claude BOIRON

Je vous remercie.

De la salle

Vous disiez qu’il était bien d’entendre, de voir les émotions des proches, des personnes qui vous aiment. Est-ce que ce n’est pas trop dur d’entendre leur peur ou de les entendre s’exprimer ? Cela peut faire grandir votre peur et votre propre angoisse.

Claude BOIRON

Je ne me fais aucune illusion. Je sais où je vais. Cette conscience que j’ai de mon avenir, tous les patients ne l’ont pas de manière aussi aigue, avec une telle acuité. C’est en même temps une question de temps. 

Ma grande différence avec les autres patients, c’est que je sais, dès le début. L’autre patient va passer par une phase de rémission, une première rechute. Il va ensuite aller mieux. Il va à nouveau rechuter. C’est au fur et à mesure de ce temps qu’il va commencer à comprendre qu’il va probablement mourir de cette maladie. Je le sais depuis ma rechute. 

Ce qui m’angoisse, c’est des choses purement pratiques. C’est mes marqueurs qui montent. C’est d’avoir mal là, qu’est-ce que cela veut dire ? C’est ce qui m’angoisse.

L’angoisse de l’autre ne peut pas m’angoisser plus ou moins. Je préfère en parler avec lui, au contraire. C’est très particulier parce que je sais où je vais.

Pour la famille, c’est très particulier. C’est tout un pan que je n’ai pas abordé. J’ai parlé du courage. On protège énormément. Je le vois bien avec ma famille. Il n’y a que ma sœur qui est psychiatre avec laquelle je peux exprimer des choses. Je sens très bien que c’est impossible avec mes parents. Ils ne m’angoissent pas davantage. S’ils le sont, j’essaie de les rassurer. 

Leur angoisse est compréhensible. Elle ne m’angoisse pas du tout. Au contraire, j’ai l’impression qu’ils se rendent compte, lorsqu’ils sont angoissés ainsi, que c’est grave ce que je vis. Je pense plutôt être entendue et reconnue dans la difficulté de ce que je vis. Cela ne me pose pas de problème, au contraire.

De la salle

Puisque nous sommes dans la quête de sens et avons parlé du « pourquoi moi », vous êtes vous posée des questions dans le sens de ce que vous avez pu faire, de ce que vous auriez pu vivre de traumatisant qui aurait provoqué la maladie. Nous avions parlé du côté psychologique éventuel de la maladie. Vous posez-vous encore ces questions aujourd’hui ? Reviennent-elles ? Avez-vous trouvé un sens ou pas ?

Claude BOIRON

J’ai ressenti le « pourquoi moi » tout au début. C’était une phrase que j’avais lâchée comme cela. J’étais avec ma mère et je lui ai dit que je ne suis pourtant pas mauvaise. Cela fait très longtemps que je n’ai plus ce « pourquoi moi » parce que déjà cela m’énervait. Cela m’énervait déjà avant lorsque j’entendais les patients. 

Ce n’est pas le « pourquoi moi » qui me parait intéressant. Ce qui m’a posé plus de problème c’est de savoir ce qu’on fait de cela maintenant que c’est là. Comment l’intègre-t-on dans sa vie ? Je ne vous cache pas que je dis parfois que c’est lourd. On se demande pourquoi continuer. 

La difficulté est plus là : comment faire pour donner un sens à cette souffrance, à ce corps qui a souffert, à cette absence de projets à long terme. Mon truc était plutôt de trouver un sens à ce que je faisais maintenant que la maladie est là. Une femme sur 11 voici 10 ans, une femme sur 9, aujourd’hui, une femme sur 7 dans 10 ans. Pourquoi moi, cela va être bientôt pourquoi pas moi. 

Ce qui me questionne c’est ce que je fais maintenant de cela et qu’est-ce qui me pousse à continuer. Ce qui est hallucinant pour moi c’est comment cela a basculé après cet écrit. Je suis beaucoup plus sereine. Aujourd’hui, quoi qu’il arrive, je sais que j’ai déjà fait. C’était ma quête de sens. J’ai donné un sens à cela, c’est vrai. Je ne pense pas que la vraie question soit le pourquoi moi. La vraie question est de trouver une signification pour continuer à avancer et bien, si possible, sans tout le temps regretter le temps où on était en bonne santé sans la mort à vos côtés tous les jours. 

Philippe ACKERMANN

Je voudrais juste vous donner une indication pour les ateliers de cet après-midi. Vous avez peut-être été attentifs, lorsque vous avez signé les feuilles d’émargement. Il y avait un groupe sur chaque table. Nous aurons trois ateliers, cet après-midi et trois groupes. Nous vous demanderons de vous rendre dans la salle de votre groupe. Vous trouverez sur les tables où vous avez émargé, le numéro de votre groupe. Nous allons faire la mise en place durant le déjeuner. Nous allons préparer trois salles dans lesquelles nous allons essayer de nous répartir. 

Pause déjeuner.